« Oui », ou la puissance de l’acceptation, saison 2

Dans mon article introductif (Oui, saison 1) consacré au thème de l’acceptation, je partageais cette conviction que notre époque tourmentée nous appelait plus que jamais à développer cette aptitude particulière, dont la vertu traverse toutes les grandes traditions.

J’utilisais d’autre part une fable moderne, adaptée d’un conte beaucoup plus ancien, pour témoigner du fait qu’au-delà des bénéfices évidents de l’acceptation sur le bien-être et la joie de vivre au quotidien, l’aptitude à « accepter ce qui est » méritait certainement de figurer au premier rang des compétences de leadership dans un monde en profonde mutation.

Enfin j’invitais mes lecteurs à considérer que l’enjeu lié au développement de cette aptitude n’était pas réservé aux moments les plus importants de notre existence, mais qu’en réalité il s’agissait d’un combat du quotidien, instant après instant, dans les situations les plus triviales de notre vie aussi bien professionnelle que non professionnelle. Pour cela je finissais ce premier article avec la proposition d’une petite expérience toute simple.

Dans ce second article consacré au même thème, j’utilise un exemple banal pour entrer plus en profondeur dans la compréhension de ce mécanisme de l’acceptation et de son corollaire, le refus. J’en montre tous les enjeux, mais aussi les obstacles que l’aspirant trouvera immanquablement sur sa route. Enfin, j’esquisse les questions qui seront posées dans mes prochains articles toujours sur ce même thème.

Pourquoi parler de « combat du quotidien » au sujet de l’acceptation ? Notre « pouvoir de dire oui » serait-il aussi limité que celui de notre compagnie ferroviaire préférée ? Il semble bien que ce soit le cas.

« Oui à ce qui est, instant après instant » nous enseigne les sagesses millénaires, qu’elles nous viennent de l’Orient (Bouddhisme, Taoïsme notamment), d’Occident (religions de livre) ou même d’Amérique du Sud avec le chamanisme.

Pour saisir tout l’enjeu lié à ce sujet, il est essentiel de parfaitement comprendre la signification de cette phrase. Pour cela, rien de tel qu’un emprunt à la vie de tous les jours. Je vous propose donc de décortiquer une situation des plus banales, vécue par l’auteur de cet article pas plus tard que vendredi dernier.

Ma fille aînée et moi devions-nous rejoindre à Amsterdam pour le weekend. Je lui ai réservé son billet sur le site de la trop fameuse compagnie ferroviaire. Mais voici que jeudi soir, en préparant le voyage, je réalise que son billet ne peut être retiré qu’en borne, qui plus est avec la carte bleue ayant servi à l’achat. Je suis à Lyon, elle est à Paris, le départ est le lendemain, impossible de lui envoyer le billet.

Acte 1 : ce qui est, à cet instant, c’est que je viens seulement me rendre compte du problème, la veille du départ.

Bien sûr j’aurais pu vérifier son billet avant, mais je ne l’ai pas fait. A cet instant précis, c’est cela qui est, et cela ne peut pas ne pas être. En cette fraction de seconde où je prends conscience du problème, deux choix se présentent à moi, homme libre :

– Option 1 : je dis « oui » à la situation, ce qui signifie que je l’accepte à 100%.

– Option 2 : je refuse la situation, ce qui signifie qu’intérieurement tout mon être dit « non » … à ce qui est.

Dans le cas présent, je crois pouvoir dire que mon choix fût le premier. Sans doute le fruit d’un certain entrainement. J’en tirais un bénéfice immédiat : sérénité et clairvoyance. Loin de paniquer, de m’accuser ou d’accuser la SNCF d’archaïsme, je commençais à réfléchir calmement aux options qui se présentaient à moi.

Acte 2 : J’en conçus l’idée d’appeler le lendemain matin dès la première heure le service des renseignements de la compagnie.

A huit heures trente précises, une personne charmante au téléphone m’avouait son impuissance à résoudre mon problème. « Cela arrive souvent » rajoutait-elle, espérant me rassurer. Nouvelle victoire, le choix du « Oui » (acceptation) l’emportait. Mon mental gardant ainsi son calme accédait à sa partie la plus créative pour imaginer le stratagème qui me permettrait peut-être de sauver ce week-end avec ma fille (pour pimenter le sujet il faut préciser que c’était un week-end que nous projetions depuis des mois et auquel elle et moi tenions beaucoup)

Acte 3 : Fier de moi, je concevais un plan génial.

Je me rendais à la gare Part Dieu et retirais le billet à la borne. Je le glissais dans une enveloppe avec le nom de ma fille et son numéro de portable, puis me rendais à l’embarquement du prochain TGV pour Paris. Dès ma seconde tentative je trouvais une jeune fille fort aimable qui acceptait le service que je lui demandais, à savoir remettre l’enveloppe à ma fille qui l’attendrait sur le quai à l’arrivée. Bien sûr je lui expliquais la situation, qu’elle semblât fort bien comprendre, refusant même le billet de dix euros que je lui proposais en échange du service rendu. Je lui demandais alors son numéro de portable qu’elle me donnât volontiers. Mais voici qu’au moment où elle disparaissait en haut de l’escalator je réalisais avec effroi que le numéro que je venais de noter dans mon smartphone s’était effacé, sans que je sache pourquoi ! A cet instant précis je me trouvais donc à nouveau face au même choix : accepter ce qui était à cet instant (le numéro s’est effacé) et ne pouvait pas ne pas être, ou refuser intérieurement la situation : non non non ! C’est ce que je fis. Je m’asseyais sur un banc, abattu : le sort de mon weekend dépendait donc du bon vouloir d’une jeune femme dont je n’avais même pas les coordonnées. Dans les trois minutes qui suivirent mon mental s’en donna à cœur joie, faisant preuve de toute sa capacité accusatrice et fantasmagorique : je m’accusais de tous les maux, et voyais déjà la jeune femme filer à l’arrivée à Paris, billet à la main. II me fallut quelques minutes pour me reprendre et faire un choix différent : OUI. De toutes façons, je ne pouvais rien changer à la situation, manifestement je ne récupérerais pas ce numéro, il n’y avait donc plus qu’à attendre et voir. Je m’accrochais également à ma foi insubmersible en la bonté humaine. Elle appellerait certainement ma fille à l’arrivée, et tout irait bien. Je rentrais donc au bureau l’esprit guilleret, amusé de l’histoire et confiant.

Acte 4 : Deux heures et quinze minutes plus tard, tandis que je m’apprêtais à partir pour l’aéroport, je recevais un appel de ma fille, passé depuis la gare de Lyon.

Aucune nouvelle de la jeune femme, alors que le TGV s’était totalement vidé et que plus personne ne se trouvait sur le quai.

Même choix.… Et là j’avoue, malgré toutes mes années d’entraînement à l’acceptation, j’explosais littéralement, sous les yeux médusés de mon épouse. Tout en moi criait non, non et non ! Pourtant, il n’y avait qu’à dire oui, puisqu’à cet instant, je dis bien à cet instant, ma fille n’avais pas reçu l’appel et il fallait bien admettre que le billet ne lui serait vraisemblablement pas remis ! De rage Je tapais du poing contre mon bureau, ce qui ne m’arrive à peu près jamais. L’espace d’un instant je mettais cette pauvre femme au banc des accusés, la condamnant à brûler en enfer pour une telle trahison. Bien sûr je n’avais pas le moindre élément pour comprendre ce qui avait bien pu se passer. Je tombais donc allègrement dans le piège tendu par mon mental, et oubliais instantanément ce fameux troisième accord Toltèque qui nous enseigne de ne pas faire d’interprétations. Une fois de plus, il me fallut un peu de temps, cette fois dix minutes, pour lâcher prise et accepter totalement cette situation. Le calme revenu, j’imaginais ce qui allait être l’ultime solution : acheter un billet d’avion en dernière minute, tout cela aussi vite que possible pour ne pas rater mon propre avion.

Acte 5 : Il n’y avait plus qu’un seul billet disponible, toutes compagnies confondues.

Lorsque le prix (indécent) s’afficha à l’écran, je me trouvais un fois de plus face au même choix.

« Oui » ou « Non » ? Le Oui l’emporta immédiatement, et quelques minutes plus tard je montais dans mon taxi le cœur léger (je vous assure !), riant même de cette saga rocambolesque. Le weekend fut parfait à tous points de vue. Le plus drôle est que j’avais prévu d’écrire mon second article sur l’acceptation lors du trajet de retour, et voilà que la vie me le servait sur un plateau !

Que peut-on donc apprendre d’important avec cette histoire amusante mais finalement banale ? Tout d’abord, prenons conscience que, le plus souvent en dehors de notre conscience immédiate, ce fameux choix se présente à nous tous les jours, et même des dizaines de fois ! Un train en grève, une file d’attente, une météo pluvieuse, un enfant malade le jour d’une réunion importante, un hiérarchique de mauvaise humeur, un mal au dos, un ascenseur en panne, un contrat perdu, un impôt qui augmente, une incivilité dans le métro, un délai non tenu, un voisin qui parle fort. A chaque fois la même chose : à l’instant où le chose se produit, elle ne peut pas ne pas se produire. A cet instant je suis libre d’un choix, j’accepte – à 100% -, ou je n’accepte pas.
Dans le premier cas, mon esprit est libre, calme, clair et créatif. L’instant d’après je peux réfléchir puis agir, avec toutes mes ressources. J’y reviendrai dans mon troisième article.

Dans le second cas, l’émotion négative survient, de façon évidente comme dans mon exemple ci-dessus, ou de façon beaucoup plus subtile, si l’enjeu est moindre (par exemple l’ascenseur est en panne et j’habite au quatrième étage). L’émotion négative survenant, mon esprit s’agite, élabore, suppose, crée de toute pièce. Mon pouls s’accélère, je me sens moins bien, et surtout je réfléchis moins bien. Une porte vient de se fermer à double tour dans mon cerveau, celle qui me permettrait d’accéder à une compréhension claire de la situation, et surtout à mon véritable potentiel de créativité.

Plutôt que d’être « un » avec la situation, mon mental vient en effet de « créer un second », pour reprendre l’expression très juste d’Arnaud Desjardins. L’ascenseur est en panne, c’est affiché dessus et c’est la réalité, mais l’espace d’un instant mon cerveau a créé une autre image, une autre réalité, la sienne, dans laquelle l’ascenseur n’est PAS en panne ! Il n’en faut pas plus pour déclencher l’émotion négative, en l’occurrence la colère, même infime dans le cas présent.

Même chose avec ma petite histoire. Ma fille m’appelle pour me dire qu’elle n’a pas récupéré le billet. Cela est, c’est tout. Le oui s’impose (puisque à cet instant cela ne peut pas ne pas être), et pourtant instantanément mon mental fabrique une autre image, celle dans laquelle elle aurait reçu en main propre ce billet voyageur. Et donc me voilà qui explose. Pour quoi ? Rien. Rien d’utile en tout cas.

Oui à l'acceptation

Comprenons bien ceci : dès que je ne suis pas « un avec la situation » (ce qui signifie Oui à 100%), mon mental « crée un second » et ce faisant invite l’émotion négative (colère, tristesse, frustration…) et toutes ses conséquences sur mon bien être, ma clairvoyance et ma créativité. Qu’est-ce que j’y ai gagné ? Rien. Surtout pas ma capacité de réaction. Car l’acceptation de ce qui est à chaque instant n’empêche nullement ma capacité d’action à l’instant d’après. Bien au contraire : mon action devient une véritable action ; elle n’est plus une -action. Elle est claire, directe et créative. Notez au passage que vous avez ici toute la philosophie des arts martiaux.

Ce sera le thème de mon troisième article, dans lequel je m’attacherai à montrer que l’acceptation diffère en tous points de la résignation. C’est pour cela qu’elle est une aptitude essentielle à toute vie sereine et joyeuse, mais aussi, et ce sera le thème du quatrième article, à tout leader qui désire conduire un changement profond et durable. Mais avant cela place à l’entraînement !

Car comme toute aptitude à maîtriser l’acceptation requière un entraînement de tous les jours et une bonne dose de détermination. Bonne nouvelle, celui-ci ne nécessite pas d’abonnement à la salle de gym, c’est totalement gratuit.

Je vous invite donc à repérer ces dizaines de fois par jour où votre mental « crée un second » et dit non à ce qui est et pourtant ne pas ne pas être. Voyez ce mécanisme à l’œuvre dans tous les petits et grands moments de votre vie.

Pouvez-vous commencer à célébrer vos « Oui », sans chercher dans un premier temps les victoires des grands soirs ?

Pouvez-vous célébrer également vos « Non », que vous porterez désormais à votre conscience ?

Et enfin méditer cette prière attribuée à Marc-Aurèle,

Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer ce que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence.

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